Le neurobiologiste, qui organise chaque année la Semaine du cerveau avec l’association Auver-Brain, est passé maître dans l’art de transmettre les savoirs.
Philippe Luccarini, c’est d’abord une voix, un accent chantant qui le rend immédiatement sympathique. Un accent tout droit venu de Marseille et jamais perdu depuis son arrivée à Clermont-Ferrand en 1992. L’enseignant-chercheur, professeur des universités, nous reçoit en toute simplicité, à l’Institut Universitaire de Technologie (IUT), son deuxième repère après le laboratoire Neuro-Dol. Ici il enseigne, là-bas il mène des recherches sur la douleur. L’homme est neurobiologiste, professeur des universités. C’est un passeur de savoirs.
Une rencontre décisive
Né de parents italiens de la région de Pise, arrivés à Marseille en 1952, Philippe Luccarini passe toute son enfance dans le sud. Il y restera jusqu’à la fin de sa thèse. Fils d’ouvrier, le goût des sciences, comme celui de leur partage, il les développe moins à la maison qu’au collège, où il fait une première rencontre décisive. « Je n’aimais pas trop les maths et la physique. La biologie en revanche m’a beaucoup intéressé dès la sixième parce que j’avais une prof géniale, Madame Ceccarelli, qui m’a transmis sa passion pour cette matière. »
En 1980, le bac en poche, obtenu « sans étincelles », se pose la question de l’orientation. Le jeune Philippe a dans l’idée de faire un diplôme universitaire de technologie (DUT), une formation courte pour travailler « le plus rapidement possible ». Il envisage de devenir technicien de laboratoire. Le couperet de la sélection sur dossier en décide autrement : ce sera l’université, la fac de biologie à Marseille. Son attention se porte au début sur la biologie végétale. Mais l’étudiant est curieux et prend volontiers son temps, se laissant l’espace pour de nouvelles rencontres... et d’éventuelles bifurcations. «Certains de mes camarades m’ont fait découvrir les études de neurosciences dès la licence et les mystères du cerveau. J’ai laissé tomber le végétal. »
Trois jours au labo, deux au loto
Licence, maîtrise, doctorat, l’étudiant file droit : il a trouvé sa voix. Attiré par la recherche fondamentale sur des modèles animaux, il réalise sa thèse au sein d’un laboratoire de neurosciences fonctionnelles de Marseille, sur le contrôle de l’équilibre. « Je n’étais pas attiré par un sujet en particulier, avoue-t-il. La mémoire, la motricité… Ç’aurait été n’importe quoi, je prenais ! ». Sans bourse, il doit financer sa thèse, décroche un job dans un centre de loto. Trois jours au labo, deux au loto. « Je devais contrôler les tickets, de 5h du matin à 14h. » Le jeu en vaut la chandelle. Service militaire oblige, il doit mettre son doctorat entre parenthèses pendant un an. Se faisant peu d’illusions sur l’après-thèse, le doctorant envisage sérieusement de s’engager dans la Marine comme civil. « Mais ça ne s’est pas fait… heureusement ! ».
Une nouvelle rencontre providentielle en décide autrement : l’équipe marseillaise collabore avec un professeur italien, le Pr Pompeiano. « Comme par hasard, Pompeiano était de la région de Pise ! Je ne sais pas si inconsciemment, ça ne m’a pas attiré… ».À ses côtés, Philippe Luccarini apprend une nouvelle technique de microchirurgie intracérébrale. Le scientifique transalpin le soutient pendant ses dernières années de thèse. « S’il n’avait pas été là, je ne sais pas si je serais allé au bout. »
Peut-être est-ce cette reconnaissance qui fait naître très tôt chez lui de désir de partager le savoir : à l’issue de la thèse, et alors que ses camarades partent tous en post-doc, lui tente sa chance, postule à un concours pour le poste de maître de conférences à Clermont-Ferrand… qu’il obtient, non sans une pointe de stupéfaction. «
Je n’avais jamais imaginé faire de l’enseignement au départ ! ».
Une semaine pour le cerveau
À l’IUT, où il enseigne en spécialité génie biologique depuis 1992, l’enseignant est très apprécié des étudiant.e.s. « Ils t’aiment bien toi », admirent ses collègues. Il faut dire que l’exercice est pour lui un pur plaisir. « Les travaux pratiques, les cours… Transmettre, j’adore ça. En cours j’ai l’impression d’être sur scène ! », confie Philippe Luccarini, qui dit attendre chaque année le mois de septembre – et la reprise des enseignements – avec impatience. L’homme aime dans ses cours distiller des anecdotes, raconter les petites histoires qui font la grande – l’histoire des sciences – pour stimuler la curiosité de ses auditeurs. Non sans une pointe d’humour. « C’est un don ! plaisante Cédric Peirs, son collègue à NeuroDol. Philippe est passionné par le fonctionnement du cerveau, en comprend beaucoup de rouages, et il en parle très bien. »
Ce plaisir de transmettre le conduit bientôt à élargir son public. En 2010, Philippe Luccarini prend les rênes de La semaine du Cerveau. Sept jours pour faire découvrir les neurosciences et leurs avancées. « Les écoles, ça marche du tonnerre ! On fait aussi des interventions en centre commercial, dans des Ehpad, en milieu carcéral… Le but est de capter le plus de public possible », raconte-t-il. Un enthousiasme contagieux : « C’est grâce à lui que je fais aujourd’hui beaucoup d’interventions auprès du grand public, inspirées de sa façon de communiquer la science », raconte Cédric Peirs.
- La douleur au centre
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Accueilli en 1992 au laboratoire de physiologie oro-faciale dirigé par le Pr Woda, Philippe Luccarini y apporte ses compétences, y apprend d’autres techniques, notamment d’électrophysiologie in vivo. La structure est labellisée Inserm en 2002 sous la direction de Radhouane Dallel, avant de devenir Neuro-Dol dix ans plus tard, après sa fusion avec le laboratoire de pharmacologie clinique et fondamentale. Le centre compte aujourd’hui une centaine de chercheurs et chercheuses. « Neuro-Dol est LE centre de la douleur en France. Son originalité est sa transversalité, observe Philippe Luccarini. Nous menons des études depuis la molécule jusqu’à l’humain ». La migraine occupe une bonne part des recherches. « Nous cherchons à identifier les mécanismes physiopathologiques de la migraine et testons aussi le potentiel antalgique – qui atténue ou supprime la douleur- de molécules. » L’idée étant, in fine, d’améliorer la prise en charge de la douleur.
Éthique et bien-être animal
Alors que l’entretien touche à sa fin, Philippe Luccarini propose de me faire visiter l’IUT. C’est une habitude chez lui : il donne de son temps. À l’écouter, on croirait d’ailleurs que le temps est extensible. Car le chercheur s’occupe aussi d’éthique et de bien-être animal, auxquels il consacre un bon quart de ses activités. « Je n’ai pas quatre quarts mais cinq ou six quarts ! », plaisante-t-il. Élu président du Comité d’éthique en expérimentation animale pour l’Auvergne en 2010, il met en œuvre l’application de la nouvelle directive 2010*. Aujourd’hui, il est responsable de deux stations d’animalerie, et dit essayer à la fois « de sauver l’expérimentation animale attaquée de toute part, et aussi de la limiter raisonnablement. »
Et après, que fera-t-il ? À cinq ou six ans de la retraite, la question commence à se poser doucement. « Je vais continuer dans la communication scientifique, répond-il sans hésiter. C’est un plaisir. Lors de la Semaine cerveau, pas mal d’intervenants ont les cheveux blancs ! »